Le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC), en partenariat avec le festival de films sur les droits humains et la liberté d’expression, Ciné Droit libre, l’Autorité supérieure de contrôle d’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) et l’Institut Free Afrik ont organisé, ce 15 décembre, une tribune d’interprétation des trois pouvoirs : l’Exécutif, le législatif et le judiciaire. Au cours de ce panel tenu à Ouagadougou, il a été question d’analyser l’application de la loi anti-corruption au Burkina Faso. Avec un accent particulier sur le délit d’apparence.
La problématique de l’application de la loi sur le délit d’apparence a réuni ce vendredi, des acteurs de différents domaines. Économistes, juristes, contrôleurs d’État ou encore agents des douanes étaient autour de la table de discussions. Objectif : expliquer, avec des termes simples, la notion de délit d’apparence et l’application de la loi en la matière.
“Le délit d’apparence est une infraction pénale. C’est le fait pour toute personne de ne pas pouvoir justifier raisonnablement l’augmentation de son train de vie au-delà de 5% par rapport à son revenu légal. En d’autres termes, la personne mène un rythme de vie, un niveau de vie qui excède d’au moins 5% ses revenus légaux ”, explique le juge Adama Nabaloum, représentant du pouvoir judiciaire.
Cette infraction, ajoute-t-il, est prévue par le Code pénal, notamment en son article 332-23.
Pour lui, cette loi, près de 8 ans après son adoption, n’a pas permis de satisfaire les espoirs suscités au départ.
“Le délit d’apparence, c’est lorsqu’une personne a un train de vie qu’il ne peut pas justifier”, explique, pour sa part, le Secrétaire exécutif du REN-LAC, Sagado Nacanabo.
“Cette thématique nous tenait énormément à cœur. En effet, lorsqu’on annonçait la loi sur le délit d’apparence en 2015, beaucoup de citoyens se disaient qu’on pourrait savoir comment des personnes s’enrichissaient de manière illicite sans qu’on n’ait des preuves”, a-t-il déclaré.
Tout comme Adama Nabaloum, il estime que la loi n’a pas permis d’atteindre les résultats escomptés.
“Depuis l’adoption de la loi, il n’y a pas eu grand-chose; la moisson est maigre. Nous voulons voir comment booster le délit d’apparence pour savoir les fortunes tapies dans l’ombre, fortunes qu’on devrait récupérer pour le développement du pays”, a-t-il déclaré.
Le pouvoir exécutif a été représenté à ce panel par la Direction générale des Impôts. Son rôle a été, entre autres, d’expliquer la question du délit d’apparence en rapport avec la gestion du foncier au Burkina.
Le Secrétaire exécutif du REN-LAC estime que cette question est très importante, car il faudra, dit-il, déterminer les grands propriétaires terriens du pays. À ce niveau, un travail d’informatisation des données est en cours, explique le Directeur général adjoint des Impôts, Talado Eliane Djuiguemdé.
Le pouvoir législatif, lui, n’a pas répondu à l’appel pour participer à cette tribune d’interpellation.
La lutte contre la corruption peut permettre, selon Sagado Nacanabo, de lutter contre le terrorisme. Il existe un lien, dit-il, entre terrorisme et corruption.
À ce propos, il rappelle le thème de la 18e édition des “Journées nationales du refus de la Corruption” (JNRC) tenues récemment. Le lien entre blanchiment de capitaux et financement du terrorisme y a été largement abordée.
Il évoque aussi des dossiers relatifs au délit d’apparence. Par exemple, l’affaire concernant une résidence de l’ancien ministre de la Défense Jean-Claude Bouda, construite à Manga, dans la province du Zoundwéogo.
Bouda avait été placé sous mandat de dépôt suite à une plainte du REN-LAC pour « blanchiment de capitaux » et « enrichissement illicite ». Cette plainte était fondée sur la loi relative au délit d’apparence.
Le dossier remonte à 2020. L’intéressé avait, par la suite, bénéficié d’une liberté provisoire.
Selon le Secrétaire général du REN-LAC, Jean-Claude Bouda, alors ministre, n’avait pu justifier l’origine des fonds qui ont permis de construire la résidence.
“Pour le cas de feu Jean-Claude Bouda particulièrement (décédé en septembre 2023, Ndlr), l’action publique est éteinte mais il n’était pas seul; ce qui veut dire que l’action publique n’est pas totalement éteinte”, relève Sagado Nacanabo.
Autre cas de délit d’apparence : une affaire concernant le Directeur général adjoint des douanes, William Alassane Kaboré.
Il avait été placé sous contrôle judiciaire en 2020 pour des faits d’enrichissement illicite, de délit d’apparence et de blanchiment de capitaux d’un montant de 1 milliard 300 millions FCFA.
Le traitement du dossier suit son cours, selon le Contrôleur général d’État par intérim de L’ASCE-LC, Urbain Millogo.
Selon lui, la difficulté de traçabilité des dépenses des citoyens, le manque de dénonciation, le nombre limité d’enquêteurs à l’ASCE-LC constituent des entraves à l’application de la loi.