Le procès opposant la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) à l’écrivain Adama Siguiré s’est poursuivi ce 4 mars. Le Tribunal a décidé de joindre l’exception soulevée par la défense au fond du dossier. Décision maintenue malgré les contestations de la défense.
Selon la défense de l’écrivain Adama Siguiré, il s’agit d’une exception de nullité. Les personnes habilitées à servir les actes pour comparution sont les clercs et les huissiers, explique-t-elle. Et elle affirme que cela n’a pas été le cas concernant son client. Les actes ont été apportés au prévenu par “un simple juriste”, précisent les avocats de l’écrivain. Il s’agit de Ousmane Ouangrawa.
L’expression “simple juriste” met la procureure “hors d’elle”. À cet instant, ministère public et défense ne s’écoutent pratiquement plus. Chacun parle de son côté. Réactions également dans la salle. Le tribunal décide alors de suspendre l’audience pour 30 minutes.
Débats houleux
À la reprise, Adama Siguiré est appelé à la barre pour “apporter les preuves de ses affirmations”.
Il a par exemple déclaré que “la CGT-B et son Secrétaire général confédéral ont reçu de l’argent de l’impérialisme pour déstabiliser la Transition”.
Il reconnaît être l’auteur des publications. Il rejette cependant les faits de diffamation et d’injures qui lui sont reprochés.
Selon lui, diffamer, c’est salir l’image, utiliser des informations mensongères contre une personne. Il estime cependant que les faits attribués à la CGT-B sont vrais. Il est alors invité à fournir les preuves de ses allégations.
“Nous sommes en guerre. La mobilisation générale a été lancée. Des Burkinabè meurent. Pendant ce temps, la CGT-B mobilise des gens contre la vie chère. Leur objectif est donc de déstabiliser la Transition. J’assume ma communication de guerre”, affirme-t-il, avec vigueur.
Le ton du prévenu suscite la réaction de la présidente du tribunal. Elle lui demande donc de baisser la voix.
Selon Adama Siguiré, la communication de la CGT-B concernant la vie chère est une preuve qu’elle veut déstabiliser la Transition. “Le gouvernement a lancé la mobilisation générale et la CGTB n’a pas soutenu cela. Je fonctionne par logique. La CGT-B a prévu un meeting, pas pour soutenir la guerre. Elle prône donc l’inconscience. Si la CGT-B ne soutient pas les actions du gouvernement, c’est qu’elle est contre la lutte antiterroriste. Pour moi, la preuve c’est la démonstration”, a-t-il soutenu.
“La CGT-B est-elle la seule structure à organiser des meetings ? Tous ceux qui ont fait des meetings sont-ils des paresseux ou des pro-impérialistes ?”, demande Me Prosper Farama, avocat de la partie civile.
“Ceux qui font la mobilisation pour conscientiser, ce n’est pas la paresse”, répond Adama Siguiré.
“Vous n’avez pas besoin de crier, baissez la voix”, lance à nouveau le tribunal, visiblement agacé. Cela ne calme cependant pas les émotions du prévenu.
“Il ne s’agit ni d’un procès contre votre communication ni d’un procès entre pro et contre régime en place. Il s’agit ici des faits liés à vos écrits. La CGT-B estime que ces faits sont injurieux et portent atteinte à son honneur. Il ne s’agit pas d’interpréter les intentions de la CGT-B. En dehors du meeting, qu’est-ce que la CGT-B a fait qui vous amène à dire qu’elle fait la promotion de la paresse ?”, rétorque le tribunal.
Selon le prévenu, le fait que la CGT-B ait remis en cause la coupure de 1% sur les salaires est une preuve largement suffisante qu’elle est contre la Transition.
Il mentionne également une publication de Ibrahima Maïga, un activiste burkinabè basé aux États-Unis. Ce dernier, dit-il, a fait une publication dans laquelle il affirme que Moussa Diallo, Secrétaire général de la CGT-B a reçu de l’argent de l’impérialisme pour déstabiliser la Transition. Selon lui, les affirmations de Ibrahima Maïga corroborent des faits. Et cela constitue, dit-il, une preuve car la CGT-B n’a pas démenti.
L’appel du tribunal concernant la manière de s’exprimer du prévenu n’a pas été entendu. Ce que les avocats de la défense tentent de justifier. “Nous présentons nos excuses au tribunal, au parquet et à la partie civile par rapport à la voix de notre client. C’est ce qu’il ressent de ce que sa localité, Koumbri, a subi à cause de la guerre, qui l’amène à hausser le ton”, indique Me Solange Zèba.
Adama Siguiré, lui, reste sur sa position. Les leaders de la CGT-B sont, dit-il, en contact avec des impérialistes : “Des contrats ont été signés et le 31 octobre 2023 était le début des activités de déstabilisation”.
Selon lui, la CGT-B, en organisant le meeting, prend position contre “le pays”.
“La CGT-B dit que vous mentez sur elle. En dehors de la publication de Ibrahima Maïga, quelle autre preuve avez-vous?”, demande le tribunal.
Et Adama Siguiré de répondre : “Une preuve est une démonstration logique; moi en tant qu’écrivain, penseur cartésien, la démonstration est une épreuve. Pour moi, ce sont des preuves. Si le tribunal estime que ce ne sont pas des preuves, je prends acte”, a-t-il lâché. L’évocation de la logique suscite la réaction de la partie civile.
“Tout ce qui est logique est-il vrai ? Pensez vous que toute démonstration est vraie ? Si quelqu’un dit que vous soutenez la Transition parce que vous avez reçu de l’argent. Est-ce vrai parce que c’est logique ?”
À ces questions de Me Prosper Farama, le prévenu répond par la négative.
L’écrivain évoque ici également la situation de guerre qui, selon lui, détermine tout : “J’ai perdu mon village et ma commune ainsi que ma province à cause du terrorisme. Et la CGT-B se lève pour défendre que la vie est chère. Dans quel pays en guerre la vie n’est pas chère ? C’est la preuve que la CGT-B est avec les impérialistes. C’est ce qu’on appelle la logique”, a-t-il défendu. Il maintient ainsi ses accusations selon lesquelles la CGT-B a reçu de l’argent de l’impérialisme pour déstabiliser la Transition.
“Je n’étais pas là lorsque l’argent a été reçu. C’est Moussa Diallo qui l’a reçu (…) La CGT-B ne se bat pas pour le Burkina ; donc elle se bat pour les impérialistes; c’est logique. Si la CGT-B dit de ne pas cotiser pour l’effort de guerre, elle est pour la France”, a-t-il ajouté.
Me Prosper Farama rejette l’utilisation de la publication de Ibrahima Maïga comme preuve.
Selon lui, citer les propos d’une personne est une affirmation et non une démonstration.
Il présente onze autres plaintes de la CGT-B en lien avec le meeting finalement avorté du 31 octobre dernier. Un collectif d’organisations syndicales et de la Société civile, dont la CGTB, avait alors annoncé un meeting à l’occasion de la commémoration du 9e anniversaire de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.
L’une des plaintes est portée contre Ibrahima Maïga pour diffamation.
Selon Me Prosper Farama, les déclarations de Adama Siguiré n’ont rien à voir avec l’effort de guerre. Ce dernier, dit-il, a affirmé avoir reçu un appel d’un membre de la CGT-B qui lui aurait confié que l’organisation syndicale a reçu de l’argent. Adama Siguiré a refusé de décliner l’identité de ce dernier.
Il rejette cependant les accusations. “Mes écrits ne sont ni des injures ni de la diffamation”, dit-il.
Le Parquet, lui, estime que dire qu’une personne est amorale, paresseuse, athée,…constitue des injures. “Vous faites des déclarations graves. En matière pénale, ce qui compte, c’est la preuve. Ce n’est pas le raisonnement par déduction. Si vous refusez de donner l’identité de la personne qui vous a donné l’information, alors, la preuve ou l’infraction de diffamation est constituée”, a-t-il ajouté.
“Les preuves sont issues de démonstrations. Je suis un écrivain engagé”, rétorque le prévenu.
Concernant l’utilisation des mots inconscient, paresseux, immorale, il demande à la procureure de prendre en compte le contexte. Selon Adama Siguiré, cela se justifie par un contexte de guerre dans lequel il estime que la CGT-B communique contre le Burkina. Et cela est brandi comme preuve. “La preuve découle des démonstrations”, affirme-t-il.
Selon Me Ahmed Mamane, Conseil de Adama Siguiré, en matière pénale, preuve ne renvoie pas forcément à document. “En matière pénale, on peut prouver par tout moyen. Le plus important, c’est l’intime conviction des juges. Notre client a fait un raisonnement permettant à la juridiction d’être convaincue. Les juges vont tirer les conséquences des débats qui ont eu lieu”, a-t-il indiqué.
Me Prosper Farama, lui, estime que Adama Siguiré n’a pas été en mesure d’apporter les preuves de ses allégations. “Nous avons entendu toutes les conjectures qui ont été menées, sauf des preuves”, a-t-il lancé.
Après les débats, le tribunal a décidé de renvoyer l’audience au 26 mars pour les plaidoiries.
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