L’annonce a été faite le 25 juillet 2022 par le ministère en charge de la justice. Le dossier Dabo Boukary connaitra enfin un jugement en septembre prochain. Ce procès s’inscrit dans le cadre des assises criminelles de la Cour d’Appel de Ouagadougou qui se tiendront dans trois villes du Burkina Faso : Ouagadougou, Koudougou et Ouahigouya. Une bonne nouvelle pour les acteurs qui luttent pour la manifestation de la vérité dans cette affaire depuis plus de trois décennies.
19 mai 1990. Dabo Boukary alors étudiant en 7e année de médecine est arrêté par des militaires au cours d’une manifestation d’étudiants de l’Université de Ouagadougou, actuelle Université Joseph Ki-Zerbo. Il sera conduit dans les locaux du Conseil de l’Entente et torturé à mort. 32 ans après les événements, la vérité se fait toujours attendre. Que s’est-il passé en ce jour fatidique pour que l’étudiant Dabo perde la vie ? Parents, compagnons de lutte, organisations de défense des droits humains attendent toujours des réponses à cette question. Malgré les décennies écoulées, le temps n’a pas émoussé la détermination de ces acteurs. « Vérité et justice pour Dabo Boukary », clament-ils.
Le président du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) accueille favorablement l’ouverture prochaine de ce procès. « C’était le premier dossier que nous avons inscrit dans le registre des grandes batailles contre l’impunité et les crimes de sang au Burkina Faso », dit-il. Même s’il y a déjà des motifs de satisfaction, il n’y a pas lieu de se réjouir de sitôt et s’en tenir uniquement à l’annonce de ce procès, note Chrysogone Zougmoré. « A ce stade, ce qui nous importe et qui est essentiel pour nous, c’est qu’au-delà de cette annonce, le procès puisse se tenir. Et dans toutes les règles de l’art, en bonne et due forme. Il faut qu’il aille surtout jusqu’au bout », insiste-t-il.
L’annonce de l’ouverture de ce procès est le fruit de la lutte du mouvement étudiant et des autres composantes du peuple burkinabè qui n’ont eu de cesse de réclamer justice pour Dabo Bokary, souligne Pr Séni Koanda, chef de département biomédical et santé publique de l’Institut de recherches en sciences de la santé et président de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) au moment des événements de mai 1990. « Cela fait 32 ans que nous réclamons un procès. Nous avons fait cela jusqu’à quitter le campus en tant que militants ANEB. Et nous avons passé le flambeau à la jeune génération qui l’a aussi maintenu jusqu’aujourd’hui. Il y a des gens qui se sont dit que jamais il n’y aurait de procès. Mais s’il est annoncé, on ne peut qu’accueillir favorablement cela ». 32 années se sont écoulées mais les souvenirs restent vivaces et douloureux, confie-t-il. « En 1990, on était dans un Etat d’exception, dans une situation où les gouvernants pensaient qu’ils pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient. Et c’est ce qui a certainement conduit à ce drame ».
L’avocat de la famille salue également la tenue de ce procès les jours à venir. Me Bénéwendé Stanislas Sankara déplore cependant la manière dont les avocats de la partie civile ont été informés : ils n’ont eu l’information que par voie de presse. « Comme il y a des avocats constitués, on aurait dû nous faire des notifications. Mais comme c’est dans le cadre des assises, certainement que ces notifications seront faites. Pour les personnes qui sont poursuivies, la présence d’un avocat est obligatoire. Si elles n’avaient pas d’avocat, c’est sûr et certain qu’il y aurait une commission d’office. Je crois que d’ici à septembre, nous avons la possibilité d’avoir la communication de l’ensemble des pièces en temps utile pour nous préparer », déclare-t-il. A la question de savoir si toutes les conditions sont réunies pour un bon déroulement du procès, l’avocat indique ne rien savoir. Les questions procédurales relèvent de la Cour d’appel, note-t-il. Tout de même, Me Sankara se dit prêt pour la tenue de ce procès. « Nous avons toujours été prêts puisque nous demandons vérité et justice depuis 32 ans », lance-t-il.
Au terme des enquêtes du juge d’instruction, trois personnes sont mises en accusation dans le dossier Dabo. Il s’agit du Général Gilbert Diendéré, du Lieutenant-Colonel Mamadou Bamba et du Sergent Magloire Yougbaré. Ces derniers sont accusés de « complicité d’arrestation illégale et séquestration aggravée », « complicité de coups et blessures ayant entrainé la mort sans intention de la donner et recel de cadavre ». L’annonce de ce procès se tient donc dans un contexte où des voix appellent à la libération de Gilbert Diendéré au nom de la réconciliation nationale. Une menace pour le bon déroulement du procès ? L’avocat de la famille Dabo se dit plus que serein : « Ce n’est pas la partie civile qui a la police des débats et de l’audience. Il y a le ministère public qui est intimement associé à la procédure et qui est garant de l’ordre. Nous ne sommes que des citoyens qui réclamons vérité et justice ». Du côté du MBDHP, c’est le même état d’esprit. Aucune crainte à se faire, à priori, souligne son président Chrysogone Zougmoré : « On ne peut pas présager de quoi que ce soit. Quoiqu’on dise, ceux qui sont cités dans le dossier Dabo Boukary sont présumés innocents jusqu’au verdict. On ne peut pas a priori dire que le Général Diendéré sera condamné. Mais s’il y a des condamnations, il faut qu’elles soient appliquées », soutient-il. Le Pr Koanda fonde également l’espoir que justice sera faite. Pour lui, l’on ne peut parler de réconciliation sans vérité et justice.
Et dans l’optique de la manifestation de cette justice, plusieurs actions de dénonciation ont été faites sur le terrain par le MBDHP et l’Union générale des étudiants burkinabè (UGEB), structure dans laquelle militait Dabo Boukary. Le 19 mai de chaque année, l’UGEB commémore sa disparition dans toutes ses sections, à travers « la journée de l’étudiant burkinabè ». Un terrain de football au sein de l’Université Joseph Ki-Zerbo a été baptisé « Terrain Dabo Boukary » par les locataires du temple du savoir en sa mémoire. Sur le plan judiciaire, des actions ont été également menées. Contacté par la famille, Me Sankara porte plainte en justice en 2000 pour éviter la prescription du dossier. Après cette action, le dossier n’a pas connu d’avancée, relève-t-il. « C’est la raison d’Etat qui faisait que ça n’évoluait pas. C’est après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 que certains dossiers dont celui de Dabo ont commencé à se dénouer. Cette volonté populaire et les reformes obtenues au niveau de la justice ont permis à certains dossiers de connaitre des avancées », se réjouit l’avocat. Il note par ailleurs que d’autres obstacles n’ont pas facilité les enquêtes. « Vu la complexité et l’ancienneté du dossier, beaucoup de traces ont disparu, des acteurs sont morts ; ce sont des obstacles qui ont également fait trainer le dossier », note Me Sankara. L’enquête ayant été bouclée, les yeux sont maintenant rivés sur la date du procès.
Par Tanga Thierry ZONGO