Une course-poursuite entre policiers et étudiants a eu lieu à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou ce 16 octobre. Et pour cause, un groupe d’étudiants s’opposent à la tenue d’une évaluation au sein de l’université pour, disent-ils, barrer la voie à l’application d’un nouveau régime d’étude.
La porte principale d’accès à l’Université Joseph Ki-Zerbo est fermée. À la porte ouest, des pierres, des traces et des bouteilles de gaz lacrymogènes jonchent le sol.
À quelques mètres du portail, des cargos de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS), une unité de la Police nationale. Plus loin, des voitures d’enseignants ont subi la fureur des étudiants ; des vitres brisées, des copeaux déformés.
Les ruelles permettant d’accéder au pavillon G où devait se tenir l’évaluation sont barricadées. Du caoutchouc ainsi que du bois y sont brûlés. Devant les amphis, quelques étudiants attendent. Nous tentons de leur arracher quelques mots sur la manifestation. Mais silence total.
« Allez rencontrer les responsables du mouvement d’humeur », finissent-ils par lâcher.
Finalement, Mamadou Sanou, délégué général de la corporation de l’Association nationale des étudiants burkinabè (ANEB) de l’Unité de formation et de recherche en Science de la vie et de la terre (UFR-SVT), brise le silence.
Pour lui, une crise secoue l’UFR SVT depuis février 2023 suite à l’application d’un nouveau régime d’étude. Des étudiants ont décidé de protester contre la décision en organisant des grèves.
Le nouveau régime d’étude : pomme de discorde
Dans un arrêté en date du 25 février 2019, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation définissait le « nouveau » régime des études du diplôme master dans les institutions publiques et privées de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans ce nouveau régime, source du bras de fer entre l’administration et les étudiants de l’UFR-SVT, le dernier semestre du master (S4) est consacré à l’aspect pratique : stage, rédaction de mémoire et soutenance. Une unité d’enseignement est validée si la note obtenue est supérieure ou égale à 10/20 pour les masters de recherche et 12/20 pour les masters professionnels.
« La compensation entre les unités d’enseignement ne peut s’effectuer que si la moyenne obtenue dans chaque unité d’enseignement est supérieure ou égale à 7/20 », indique l’arrêté ministériel en son article 34. En d’autres termes, peu importe la moyenne obtenue par un étudiant, s’il y a des Unités d’enseignement où il a une note inférieure à 7/20, il subira les épreuves de la session de rattrapage, et s’il n’arrive pas à améliorer cette note, il reprendra son année académique.
Et c’est là que le représentant de l’ANEB met le doigt. Si la mesure concerne toutes les institutions d’enseignement supérieur et de recherche, qu’elle soit du privé ou du public, Mamadou Sanou pense que le cas UFR-SVT devrait être traitée de manière particulière.
« La SVT est une UFR particulière; il y a des manipulations au niveau des laboratoires et il faut réunir les conditions normales d’étude. C’est à la promotion 2022-2023 seulement qu’on veut appliquer cette mesure. Ainsi, toute la promotion, plus de 500 étudiants, est ajournée. En SVT, l’étudiant obtient sa licence après 6 ou 7 années alors qu’en principe la licence, c’est en 3 ans. Si cet étudiant a le courage de poursuivre en master, il ne faut plus lui créer de barrières », a-il justifié.
Il cite en exemple un étudiant en master 1 en nutrition humaine à l’Université Nazi Boni de Bobo Dioulasso qui, selon lui, a été ajourné alors qu’il avait une moyenne générale de 15/20.
Autres problèmes soulevés par l’ANEB à propos du nouveau régime d’étude : le nombre d’inscriptions possible en licence passe de 8 à 5; l’obligation pour les étudiants en master 2 de valider toutes les unités d’enseignements du semestre 3 avant la soutenance comme le stipule l’article 29 de l’arrêté.
Pour Mamadou Sanou, seuls 11 étudiants étaient venus pour la composition aujourd’hui. Il ajoute que si barrière a été faite à ces derniers, c’est pour que l’administration prenne en compte leur avis.
« La police est venue nous gazer; nous condamnons ces violences; il y a eu des blessés. Nous restons fermes sur notre revendication », a-t-il lancé.
L’ANEB dit ne pas reconnaître les actes de vandalisme perpétrés au sein du campus à travers les jets de pierres contre les forces de l’ordre et les véhicules des enseignants.
« Nous avons été exfiltrés de nos bureaux pour échapper à la violence des étudiants »
Selon le Dr Séni Ouédraogo, Directeur adjoint de l’UFR-SVT, l’arrivée de la police au sein du campus a pour but de contenir la violence. L’enseignant-chercheur confie que lui et certains de ses collègues ont été exfiltrés par les forces de l’ordre; ce qui leur a permis de se sauver.
Les étudiants ont, selon lui, fermé la porte principale de l’université pour s’en prendre aux forces de sécurité.
Selon le Directeur général de L’UFR-SVT, Pr Patrice Zerbo, un groupe d’étudiants a adressé une note en mars 2023 à l’administration, affirmant qu’ils suspendaient les évaluations.
« Les différents jurys se sont réunis et ont constaté que les étudiants avaient effectivement boycotté les devoirs. Lorsqu’un étudiant ne vient pas à une évaluation, il a zéro», a-t-il déclaré. Selon lui, certains étudiants avaient cependant composé les matières pratiques et ces notes sont maintenues.
La session de rattrapage qui devrait se tenir aujourd’hui a été, une fois de plus, boycottée, note le Pr Zerbo qui s’étonne que son UFR soit la seule où la mesure est rejetée par les étudiants.
Pour lui, des discussions ont été menées avec les étudiants; plusieurs personnes ont fait la médiation, y compris les parents d’étudiants. Mais ces derniers campent sur leur position : la levée de la mesure. Il ne cède cependant pas au découragement et affirme que la main de son administration reste tendue à l’endroit des étudiants en grève.
« Nous sommes vos éducateurs; ce qu’on vous propose, faites-le. Le reste, on verra », a-t-il lancé.
Lors d’une interview télévisée, mercredi 11 octobre dernier, le président de l’Université Joseph Ki-ZERBO, le Pr Jean François Kobiane, a lancé un appel à l’endroit des étudiants en grève, leur demandant de prendre part à la session de rattrapage qui devait commencer ce 16 octobre.
« Nous prendrons toutes les dispositions pour nous assurer que les conditions de sécurité vont leur permettre de composer. Certains étudiants ont annoncé qu’ils sont intimidés et nous voulons les rassurer que toutes les dispositions sont prises pour leur permettre de composer », avait-t-il déclaré.
Pour lui, les franchises universitaires exigent le respect de la liberté académique.
« On ne peut pas accepter que des étudiants qui sont libres d’avoir leurs opinions et leurs idées utilisent différents moyens, y compris la violence, pour s’en prendre à leurs camarades et enseignants. Nous sommes à un niveau de violence inacceptable », avait-il déploré.
Selon le procès-verbal de la séance du Conseil de discipline de l’Université Joseph Ki-Zerbo du 28 juillet 2023, consulté par 24heures.bf, 13 étudiants de la promotion 2022-2023 de Master, convoqués pour répondre de manquement à la discipline lors des grèves, ont été blâmés car n’ayant pas répondu à la convocation du Conseil. Quatre autres étudiants qui ont répondu à la convocation ont reçu un avertissement alors qu’un autre étudiant, qui n’avait pas retiré la convocation, a été convoqué pour une deuxième fois.