L’ONG Amnesty International a présenté, ce 2 novembre, un rapport sur le conflit et la situation humanitaire au Burkina Faso. Ce document de 71 pages intitulé « La mort nous guettait lentement; vivre sous siège au Burkina Faso », documente les attaques des groupes armés et leurs conséquences sur la situation humanitaire dans le pays. L’ONG fait aussi des recommandations aux acteurs impliqués dans le conflit.
Le rapport produit par l’équipe ouest-africaine d’Amnesty International s’appuie, selon ses initiateurs, sur des missions de recherche menées au Burkina Faso en novembre-décembre 2022 et en mai-juin 2023. Face aux journalistes, ce 2 novembre à Dakar au Sénégal, les représentants de l’ONG ont présenté la teneur du document.
Ils déplorent une situation qui, selon eux, s’est dégradée au fil des ans, entraînant une crise humanitaire sans précédent.
Le rapport fait état d’exactions et de crimes commis par les groupes armés contre les civils mais aussi des localités assiégées, plongeant plusieurs parties du pays dans un besoin humanitaire sans précédent.
« Dans des villes comme Djibo et Sebba, des infrastructures vitales comme les points d’eau ont été attaquées. Des infrastructures de communication comme les pylônes des compagnies de téléphonie mobile ainsi que des ponts ont été sabotés par les groupes armés avec, pour but, d’empêcher toute communication entre ces villes et le reste du pays », déplore l’ONG.
Selon le rapport, les populations des zones sous blocus, difficilement ravitaillées par les autorités à cause des attaques, sont obligées de ne compter que sur des plantes.
« Ansaroul Islam et l’État islamique au Sahel (EIS) ont directement attaqué des civils et leurs moyens de subsistance en interdisant l’accès aux pâturages et terres agricoles. Ils ont enlevé des femmes et des filles dans les villes assiégées, parmi de nombreux crimes de guerre et atteintes aux droits humains. Cette situation a contraint de nombreux habitants des localités assiégées à fuir leur lieu de vie », relève l’ONG.
Selon le rapport, toutes les parties au conflit «ont perpétré des atrocités contre la population». Parmi les exactions commises par des groupes armés, l’ONG rapporte qu’en février 2023, au moins 60 civils ont été tués lors d’une attaque contre la ville de Partiaga (province de la Tapoa, région de l’Est).
Cette attaque a entraîné « un déplacement de grande ampleur de la population vers Diapaga et Namounou, deux villes de la province du Tapoa ».
Le rapport cite dans ce même ordre d’idées, des attaques perpétrées par « des combattants présumés de Ansaroul Islam » en juin 2021 contre des positions des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) à l’entrée de la ville de Solhan (province du Yagha). Il relève que le groupe terroriste ayant occupé la ville après l’attaque, a procédé à une « tuerie aveugle des habitants ». Cette attaque a fait au moins 132 morts, dont des civils, et 40 blessés, et provoqué le déplacement de 707 familles.
« Des bilans ultérieurs, révélés les jours suivants par les médias, ont établi le nombre de victimes à au moins 160 morts; ce qui fait de cette attaque l’événement le plus meurtrier depuis le début du conflit », précise le rapport.
Selon Amnesty International, l’autorité du gouvernement burkinabè est cantonnée à 40-60 % du territoire national en raison de l’expansion du conflit. Ces chiffres diffèrent de ceux donnés par le Premier ministre Apollinaire Kyelem de Tambèla en mai 2023, lors d’une intervention à l’Assemblée législative de transition. Il a estimé que l’État contrôlait 65 % du territoire burkinabè.
Selon le rapport, entre janvier 2017 et juin 2023, au moins 16 385 personnes, dont au moins 6 201 civils burkinabè, ont été tuées au cours du conflit.
Les années où le plus grand nombre de victimes civiles ont été enregistrées sont 2022 (1418 morts) ; 2019 (1348 morts) et 2023 (1312).
Premières victimes : femmes et enfants
Face à la presse, les représentants de l’ONG ont décrit une situation difficile des femmes et des enfants dans le conflit.
« Les femmes qui vivent dans des localités assiégées sont particulièrement exposées à des violences commises par des groupes armés », indique le rapport. Il cite en exemple les 66 femmes, filles et nouveau-nés, enlevés par un groupe terroriste le 12 janvier 2023 dans le village de Kiki, dans la commune d’Arbinda, province du Soum.Ces femmes et filles ramassaient du bois et des fruits sauvages, en raison du siège en cours à Arbinda, révèle le rapport.
“Nous appelons les parties impliquées dans le conflit à mettre fin aux attaques qui ciblent les civils ainsi que celles qui s’attaquent aux moyens de subsistance de la population (…) Nous appelons les groupes armés terroristes à s’engager publiquement à respecter les dispositions du droit international humanitaire. Nous les appelons à veiller à ce que les organisations humanitaires puissent bénéficier d’un accès aux localités assiégées”, déclare Samira Daoud.
Réponse de l’Etat
Selon le rapport, la protection de la population et l’apport de l’aide humanitaire est « un véritable défi pour les autorités burkinabè dans un pays où de vastes pans du territoire sont sous l’emprise de groupes armés et où des dizaines de localités sont assiégées ».
Il aborde aussi l’action des autorités burkinabè face à l’expansion du conflit armé, dont des crimes de guerre et d’autres atteintes aux droits humains. Notamment des « attaques » contre les populations civiles et des restrictions imposées à la libre circulation et à l’acheminement de l’aide humanitaire.
Amnesty International déclare avoir collecté des informations et témoignages faisant état de crimes perpétrés par les forces armées dans le village de Holdé, dans un contexte où la ville de Djibo est assiégée.
« Le 9 novembre 2022, le village de Holdé, à quelques kilomètres de Djibo, mais sous l’influence d’Ansaroul Islam, a été attaqué par des militaires et des VDP. Au moins 49 civils, en majorité des femmes et des mineurs, ont été tués pendant l’attaque », déclare l’ONG.
En raison des attaques visant les convois de ravitaillement à destination des villes assiégées, informe l’ONG, l’armée a imposé une escorte militaire aux camions transportant des biens de première nécessité, tels que le carburant et la nourriture, afin d’atténuer le risque qu’ils soient détournés par des groupes armés.
« Sur le terrain, ces mesures ont limité la possibilité, pour les acteurs humanitaires, de venir en aide à certaines des localités assiégées, car ce personnel humanitaire court un plus grand danger d’être touché par des attaques visant les escortes militaires ».
Selon Amnesty International, cette situation « s’est soldée par une baisse non négligeable du nombre de convois humanitaires sur les axes routiers au profit de la voie aérienne; ce qui a limité le tonnage par rapport au transport routier. »
Outre l’obligation d’une escorte militaire, l’ONG note que d’autres mesures prises par l’administration, comme l’interdiction des transferts monétaires aux bénéficiaires dans les régions du Sahel et de l’Est en raison d’un risque présumé de détournement, de mise à mal de la cohésion sociale et de dépendance des personnes déplacées, ont également entravé l’aide humanitaire, au moment même, dit-elle, où ces besoins s’intensifient au Burkina Faso.
Amnesty International déclare avoir envoyé au Premier ministre, Apollinaire Kyélem de Tambèla, une lettre contenant les principales conclusions détaillées dans ce rapport afin qu’il se prononce sur ces points et réponde à des questions connexes.
L’ONG affirme avoir envoyé, par la suite, des lettres additionnelles de suivi à 7 autres ministères. Mais à la date de publication de ce rapport, aucune réponse aux conclusions préliminaires n’avait été fournie à Amnesty International.