L’insurrection populaire de 2014 a provoqué 24 morts et 625 blessés selon une enquête administrative diligentée par le gouvernement post-insurrection. Plusieurs manifestants ont été blessés par balle. Parmi eux, Issouf Nacanabo, atteint par trois projectiles. L’une des balles a entraîné l’invalidité de son bras gauche. Mais il reste ferme : « Si c’était à refaire, je le ferais », dit-il.
L’insurrection populaire de 2014 s’est produite suite à la volonté de l’ex-Président Blaise Compaoré de réviser la Constitution. Cette révision avait pour but de lui permettre de se présenter pour un cinquième mandat après 27 au pouvoir. Issouf Nacanabo et des milliers de Burkinabè sortent alors dans les rues afin de s’opposer à ce « tripatouillage de la Constitution ».
Dans la matinée du 30 octobre 2014, ils se dirigent vers l’Assemblée nationale. Objectif : s’assurer que les députés ne votent pas pour la modification de l’article 37 de la Constitution. Après des affrontements avec des policiers de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS), rythmés par des jets de gaz lacrymogènes et de cailloux, les manifestants incendient l’Assemblée nationale. Empêchant ainsi les votes. Les manifestants jubilent. Issouf Nacanabo et un groupe de manifestants se dirigent vers le domicile de François Compaoré, frère du chef de l’État d’alors et Conseiller économique à la Présidence du Faso. « Nous n’allions pas directement chez lui. Nous avons voulu nous arrêter sur l’avenue Charles de Gaulle, aujourd’hui boulevard Thomas Sankara. Nous avons voulu occuper la voie et chanter l’hymne national pour que les gouvernants comprennent que leur pouvoir est tombé », précise Issouf Nacanabo. Devant eux, un groupe de militaires.
« Nous avons entonné l’hymne national. Et à ce moment-là, nous avons remarqué que l’un des militaires a décroché son téléphone. Quand il a raccroché, tous les autres militaires positionnés le long du mur, se sont mis en position d’alerte. Ils ont tiré dans le tas », explique Issouf Nacanabo. Il se retrouve plus tard à l’hôpital Yalgado Ouédraogo. « J’ai reçu une balle sur le bras gauche et une autre au niveau du thorax. Une troisième balle m’a transpercé la paume droite ».
Invalidité…
« La balle est entrée par le côté extérieur du coude et est ressortie par la face interne de l’avant bras. Le projectile a cassé les os du coude, explosant ainsi les nerfs au niveau de l’avant bras. Les nerfs ont été sectionnés », déplore -t-il.
En 2018, 4 ans après, il subit une intervention chirurgicale. Mais le temps mis avant cette intervention a causé une névrose des nerfs. « Les médecins m’ont prévenu qu’il y avait peu de chance que l’intervention soit un succès. Ils ont voulu néanmoins tenter et voir s’il était possible de faire une greffe des nerfs. Mais ça n’a pas réussi parce que depuis lors, je suis incapable de travailler avec le bras gauche. Ce bras est pratiquement invalide », déclare-t-il en tendant difficilement son bras.
Cette invalidité a causé des dommages majeurs à Issouf Nacanabo. « Je suis artiste. Depuis 2014, je ne peux jouer d’aucun instrument. Je suis également écrivain. Je suis l’auteur du roman « L’homme à la hache ». Et actuellement, pour écrire, je suis obligé de le faire à la main, mais difficilement, et demander ensuite à un secrétariat public ou à un ami de me saisir le texte. Je ne peux plus utiliser d’ordinateur », déplore -t-il.
L’indemnisation tarde…
Neuf ans après l’insurrection, plusieurs blessés traînent des séquelles. Certains ne peuvent plus exercer leurs activités. Ils attendent une indemnisation afin de se relancer dans d’autres activités. « Nous avons demandé aux autorités une indemnisation pour permettre aux blessés de se relancer dans d’autres activités. L’indemnisation doit également permettre aux ayants droit des martyrs de prendre en charge les familles ».
Mais sur ce point, ils sont toujours dans l’attente. « Sous la gouvernance de Yacouba Isaac Zida et Michel Kafando, la prise en charge était générale et continue. Sous Roch Marc Christian Kaboré, elle concernait les cas graves. Certains blessés ont été évacués afin de bénéficier de soins appropriés. Sous le MPSR 1 et 2, il n’y a pratiquement pas eu grand-chose. Les blessés sont en état de consolidation », déclare Issouf Nacanabo.
Justice
Des millions de Burkinabè attendent fermement la tenue du « procès de l’insurrection de 2014 ». Dix ans après, toujours pas de justice dans cette affaire. « Nous savons que la haute Cour de justice, qui était censée juger le chef de l’État d’alors et son gouvernement en cas d’infraction graves, n’était pas opérationnelle par défaut de textes. Actuellement, cette Cour n’est pas non plus fonctionnelle. Les avocats de la défense l’ont dit quand il y a eu une tentative d’ouverture du procès », explique-t-il, tout en restant confiant : « Un jour, les responsables des victimes de 2014 vont répondre de leurs actes ».
Espoir…
Selon Issouf Nacanabo, sa sortie dans les rues le 30 octobre 2014 avait plusieurs buts. « L’indépendance totale de notre pays, l’égalité de tous les Burkinabè, l’indépendance de la justice, le départ des troupes étrangères, surtout les troupes françaises, la gestion rigoureuse de nos ressources, etc. ».
Il lance un appel à la jeunesse afin qu’elle soutienne le Capitaine Ibrahim Traoré. Pour lui, l’actuel président de la transition est un symbole de l’espoir. « Nous demandons à tous d’accompagner ce pouvoir et de faire en sorte que cette révolution conduise notre pays à sa souveraineté totale, telle que nous l’avons voulue lors de l’insurrection populaire en 2014″, dit-il.