Le ver était donc dans le fruit. On a pourtant cru, pendant de longues années, que le ministère en charge de l’Action humanitaire et de la solidarité nationale, dont les fonds sont destinés aux causes sociales, faisait preuve de rigueur dans la gestion des ressources financières. Et que l’argent, issu du Trésor public, était réorienté au profit d’activités destinées aux personnes indigentes. Par exemple les personnes déplacées internes qui ont fui les affres de la guerre pour se réfugier dans des zones jugées moins dangereuses. Des hommes, des femmes et des enfants qui ont souvent presque tout perdu, y compris des membres de leurs familles.
Mais c’était mal connaitre certains rapaces tapis dans l’ombre au sein du ministère. Ils ont « pompé » les fonds et se sont enrichis au détriment de l’Etat et des populations. Le procès, qui déballe, depuis hier, cette sombre affaire, montre à souhait qu’un ensemble d’individus s’est mis en intelligence pour piller les ressources publiques.
Trois ex-ministres ont été cités pendant l’audience. Ils auraient reçu, selon le principal prévenu, des sommes indues. D’ailleurs, toute la chaine de la Direction chargée des finances, y compris la Direction des marchés publics, semble avoir trempé dans cette affaire. Un véritable scandale ! Les prévenus ayant tous reconnus, en bonne partie, les faits qui leur sont reprochés.
Même les services de contrôle interne, censés vérifier périodiquement la régularité du déblocage des fonds et des dépenses, ont pratiquement démissionné. Eux-mêmes visiblement trempés dans des eaux boueuses à forte odeur de gros sous. Imitations de signatures, faux et usage de faux, détournement de fonds, enrichissement illicite… Tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail explosif. Qui risque de faire « rouler par terre » beaucoup de têtes !
Ils se la coulaient douce au point de jeter à la poubelle les recommandations de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption. L’ASCE/LC, suite à un contrôle effectué dans ce ministère et dont le rapport 2021-2022 a été transmis aux hautes autorités du ministère, avait par exemple demandé que le gestionnaire de compte, aujourd’hui principal prévenu, soit démis de ses fonctions. Mais c’était peine perdue. On a mis le pied sur le rapport. « Comme je faisais leur affaire (par l’imitation de signatures et le partage des ressources), mon supérieur hiérarchique est allé voir le ministre pour que je sois reconduit à mon poste », affirme Hamidou Tiégnan. Et bingo ! Les choses sont passées comme une lettre à la poste ! Sans entrave. Le ministre qui avait bien connaissance du rapport ne s’en est pas opposé. Et tout cela se passe au pays des « hommes intègre ». Les rapports de contrôle semblent donc une vue de l’esprit. De simples documents, juste pour orner les tiroirs. Dans ce contexte, on apprend que l’Inspection technique des services (ITS) du ministère, censée mettre de l’ordre dans la maison, est passée complètement à côté de la plaque. Plus préoccupée à contrôler les structures décentralisées du ministère que l’administration centrale. Alors que là, au cœur du ministère, existe une « véritable mafia », entrainant ainsi une importante hémorragie financière dans les caisses de l’Etat.
Le comble, c’est qu’ils se foutent de la République ! Au cours du procès, des termes comme « on retire l’argent et on se le partage », « le partage se fait à parts égales », « chacun prend sa part » ont été dits comme s’il s’agissait de fonds privés. Tiégnan affirme avoir perçu, au titre des fonds illégalement retirés du Trésor public, environ 900 millions FCFA. Un autre, son chef chargé des finances, aurait reçu, selon lui, près d’un milliard FCFA au total. Sans compter les autres qui, eux aussi, disent avoir obtenu, dans cette sale besogne, d’importants fonds. De l’argent public s’est ainsi réfugié dans leurs poches.
L’Etat a ainsi subi un gros préjudice. Et peut-être que des personnes indigentes, comme les PDI, qui auraient pu bénéficier d’assistance grâce à ces fonds, ont vu leur situation se compliquer. Certaines ont même probablement perdu la vie. Et on se demande comment les partenaires techniques et financiers du Burkina perçoivent cette façon de gérer les fonds publics qu’ils injectent dans le budget national au profit des œuvres sociales. Donc destinés au plus démunis. C’est sans doute vilain, très vilain !
Il faut donc un véritable nettoyage dans ce ministère. On est ainsi tenté de dire « Bienvenue Commandant Pélagie Kaboré ! ». La nouvelle ministre, issue de l’Armée, nommée il y a quelques jours, devra imprimer sa marque et mettre ainsi fin à certaines pratiques malsaines. Secouer donc le cocotier, éplucher les dossiers sales et remettre le ministère sur les rails de la bonne gouvernance. D’ailleurs, peut-être qu’il n’y a pas que cette affaire de trois milliards FCFA détournés. Surtout que certains prévenus, qui défilent à la barre, affirment que la pratique existe depuis plusieurs années.
L’Etat devra également veiller à la prise en compte des recommandations des structures de contrôle comme l’ASCE/LC et la Cour des comptes. Intensifier également les contrôles. Encore et encore ! Il n’y a pas que le ministère en charge de l’Action humanitaire. D’autres ont sans doute, dans leurs tiroirs, des dossiers qui dégagent des odeurs nauséabondes. Il faut arrêter l’hémorragie financière avant qu’il soit trop tard.